Souvenirs de Georgina MAUDUIT née le 27 juin 1883
Épouse d’Alexandre Mauduit

"P
our mes petits enfants"
 
 
Transcription des manuscrits Par Marie-Thérèse Limasset-Monginoux

 

Mes grands parents :
Tout d’abord, ma Grand-Mère, que j’ai connue : AN MA   (Maman GEORGINA) qui fut ma marraine. Elle était née le 2 Août 1835. Ses parents étaient :
- Nicolas BOUCHARD, géomètre, homme cultivé, qu’elle eut le malheur de perdre alors qu’elle n’avait pas deux ans. Il fit une chute de cheval dont il ne se remit pas.
- Jeanne Claudine VAUCHEY-BOUCHARD, surnommée dans la famille « MAMAN LOLO ». 
Bonne et excellente, AN MA fut pour moi une tendre Grand-Mère. Elle habitait Paris et à plusieurs reprises, quand j’étais petite, je suis venue faire des séjours chez elle. Je n’ai pas connu mon grand-père Augustin DENNERY qui est mort en 1882. Celui-ci avait épousé AN MA (qui avait été veuve en premières noces à 22 ans de Claude VILLOT, dont elle avait un fils Léon) le 26 Juillet 1860. Il avait 50 ans et ma Grand-Mère 25.
Neuf mois après, le 7 Mai 1861 naissait Amélie ma Mère, votre arrière Grand-Mère que les aînés d’entre vous ont connue, Gros-Mémé.
Grand Père DENNERY avait eu une jeunesse assez agitée, il avait fait son Droit, puis il fut un des premiers qui comprit l’avenir réservé aux chemins de fer et il y fit toute sa carrière. D’abord à Orléans, il passa ensuite au P.L.M. où il arriva à une situation de premier plan. Il termina sa carrière comme chef de l’exploitation. En 1870, Monsieur TALABOT, Directeur, étant parti à Lyon, c’est lui qui est resté à la tête du P.L.M. et à ce titre a été amené à MAZAS avec les otages. Il n’a eu la vie sauve que grâce à un de ses employés, ROSSEL, Général de la « Commune », qui le fit élargir quelques jours avant l’exécution des otages. Le malheureux ROSSEL devait lui payer de sa vie sa contribution à l’insurrection. A l’entrée des troupes régulières, dites les « VERSAILLAIS », il fut fusillé.
A l’époque de la guerre de 1870, ma Mère avait 9 ans. Réfugiée en Bourgogne, avec ma Grand-Mère AN MA et son frère LEON, chez les cousins MOGNIET la famille ne souffrit pas de la guerre, tandis que mon Grand Père supportait le siège de PARIS. J’ai de lui, de cette époque, plusieurs lettres envoyées par ballon, où il envisageait la fin de la guerre, le retour à Paris et les provisions à rapporter, car on mourrait de faim à Paris et dans ce temps là on avait un robuste appétit.
Au mois de mars 1871, AN MA et ses enfants LEON et AMÉLIE rentrent à Paris, hélas ! Pour y voir se déclarer la "Commune". C’est à ce moment que Grand Père est emmené à MAZAS. A l’arrivée des troupes régulières, dans le combat, leur maison : 1, Boulevard Diderot, brûle sur leur tête pendant qu’ils sont dans la cave. On les évacue de l’autre côté de l’eau, et Gros Mémé, lorsqu’elle était vieille, conservait le souvenir de la voiture traversant le Pont d’Austerlitz, au milieu des morts et des blessés. Enfin, la Commune s’achève et l’on se retrouve au 15, Boulevard Saint Germain. L’appartement du Boulevard Diderot a été incendié en partie. La vie redevient paisible. Les enfants s’élèvent, LEON, le frère de ma Mère est élève du Lycée de Vanves, élève peu brillant d’ailleurs. Il ne se distingue qu’en dessin où il est remarquable. Grand Père est un excellent Beau Père pour lui, trop bon peut-être et faible. Les années passent. Mère se marie à 18 ans en 1879 avec Grand Père MIRAULT et en 1882, le 6 Mars, Grand Père DENNERY s’éteint d’un abcès de la parotide. AN MA lui survivra jusqu’en 1909 et elle aura encore la joie de connaître ODETTE, votre Maman ou Tante, qui aura son dernier sourire.
 
Du côté de mon Père, le Commandant MIRAULT, la famille est de souche terrienne. Les arrière-arrière Grands Parents sont des cultivateurs aisés de NANTEUIL LÈS MEAUX. Grand chasseur et grand pêcheur, l’arrière Grand Père est surnommé dans le pays : MIRAULT l’anguille. Son fils Jean-François MIRAULT est mon Grand Père. Celui-ci, intelligent, épouse Pauline RAOULT, sœur du Général RAOULT, et va s’établir à Paris où il est installé dans les sous-sol d’une maison qu’il a fait reconstruire, au 42 rue Lamartine, une petite fabrique de chocolats. Il habitait au début de son ménage, je crois, rue du Faubourg Montmartre, où mon Père, Louis Alfred MIRAULT est né le 14 Février 1846, ainsi que son frère et sa sœur aînée : Edouard et Pauline.
Grand Père avait un violon d’Ingres, très musicien, il fabrique des orgues. Un de ceux-ci est donné par lui à l’église de NANTEUIL où il subsiste et sert encore. Les années passent, Père fait ses études au Lycée Louis-le-Grand, très bon élève, doué pour les sciences où il aurait pu faire une belle carrière ; mais il marche dans le sillon de son oncle le Général et entre à Saint Cyr, fait la guerre de 70 et est fait prisonnier à METZ avec tout le corps d’armée du Maréchal BAZAINE. Il est libéré pour la Commune, entre dans Paris avec les Versaillais et est blessé d’une balle dans le coude au quartier des halles en luttant contre les communards. Sa blessure le gênera longtemps. Après la guerre, c’est la vie de garnison, DIJON d’abord, puis l’Algérie où il sera Lieutenant aux Chasseurs d’Afrique au moment de ses fiançailles avec votre grand-mère : GROS MÉMÉ (Amélie).
 
Ses Parents vivaient encore : Jean François MIRAULT, son Père, très asthmatique aura de nombreuses crises, mais vivra jusqu’au 10 Août 1882 et grand-mère MIRAULT ma grand-mère, vivra très vieille (83 ans) et s’éteindra le 4 Mars 1900. Depuis plus de 7 ans, elle ne quittait pas son fauteuil. Au mois de juin 1892 eut lieu l’attentat de RAVACHOL qui avait fait sauter le restaurant VERY (je crois). En bonne badaude, ma Grand-mère, encore très alerte, voulut aller voir, elle glissa sur une plaque d’égout et se cassa le col du fémur. Dure pour elle-même, comme elle l’était pour les autres, on la releva. Elle demanda qu’on lui avança une voiture et avec son fémur cassé, rentra seule au 34 de la rue des Petits Hôtels où elle demeurait. Au lieu de faire venir tout de suite le médecin : « cela va passer » dit-elle à Catherine, sa vieille bonne (qu’elle a eu 34 ans). Oui, mais le lendemain quand on appela enfin le Docteur, la cuisse était tellement enflée que le Docteur ne put rien faire, (il n’y avait pas encore de radiographie). Il fallut attendre que la cuisse désenfle, et il était trop tard, elle ne se souda jamais. Voyant qu'elle était condamnée à l’immobilité, ses enfants voulurent lui acheter un fauteuil roulant, lui disant qu’on lui prendrait s’il le fallait un domestique pour la descendre et la pousser, mais elle leur fit cette réponse qui la peint toute entière : « Dans mon quartier on admirait ma verte vieillesse, on ne me verra pas diminuée » !   Et elle tient bon pendant 7 années, se traînant de son lit à son fauteuil près de la fenêtre. A sa mort, elle laissait trois enfants :
- mon Oncle EDOUARD qui avait épousé JOSEPHINE BEAUCHAMP, du mariage duquel sont nées mes cousines LAURE et PAULINE. PAULINE  par son mariage avec mon Oncle BARIGNY devint ma Tante BARIGNY, mère  de MARIE  FARCY, de JULIETTE VOUGNY et de RAOUL; et enfin mon Père de 10 ans plus jeune que son frère aîné.
Tels sont les Grands Parents directs de mon côté, auxquels il faudra  ajouter le Grand Oncle, le général de division RAOULT, blessé grièvement à Froeschwiller le 6 août 1870. Transporté chez le Comte de LEUSSE  à Reichshoffen, il y mourut des suites de sa blessure, le 3 septembre suivant.
 
 
FAMILLE  DE  VOTRE  PÉPÉ, ALEXANDRE  MAUDUIT  (né le 15 Janvier 1874)
 
Son Père, Alexandre Georges Julien MAUDUIT, était né à VENGEONS le 22 Octobre 1837 et avait lui-même pour Parents : René Julien MAUDUIT et Monique Jacqueline BÉCHEREL. Sa Mère mourut de bonne heure, son Père se remaria et il eut une belle-mère qui lui fit la vie dure. 
A 13 ans, le Père de votre Pépé, mit son ballot sur son épaule et partit gagner sa vie.
Du second mariage de son Père étaient nés d’autres enfants :
- Pierre MAUDUIT qui eut quatre filles: Valérie, devenue plus tard Madame LIMOUSIN, Berthe, devenue Madame LETEMPLIER, Marthe, devenue Madame ROUFLARD, Clémentine, devenue Madame LAURENCIN, mère de Carmen DEJIRAUD et d’Armand LAURENCIN.
Après Pierre MAUDUIT était né un autre enfant, une fille : Monique qui devint plus tard Madame PELETIER, morte sans enfant à Paris. Elle fut très accueillante pour votre Pépé jeune homme, qui parlait toujours avec beaucoup d’affection de sa Tante Monique. Les quelques billets de mille francs qu’elle lui laissa à sa mort en 1900 lui servirent à acheter une petite voiturette : la
80ème sortie  des ateliers RENAULT.
Après avoir parcouru La Manche en tous sens dans sa prime jeunesse, réparant les parapluies, rétamant les ustensiles de cuisine,  le Père de votre Pépé devint employé à SOURDEVAL dans le magasin des Parents de celle qui allait devenir sa femme : Hortense Geneviève LE MESNAYS, votre arrière Grand Mère, dont les Parents s’appelaient Auguste François LE MESNAYS et Geneviève DUMAINE avait deux frères et une sœur : Lucien LEMAINAIS (corruption du nom) père de Fernand LEMAINAIS, Augustine Madame MURY, mère d’Angèle et Gustave LEMAINAIS, père d’Édond et de Georges LEMAINAIS, ainsi que d'une fille Yvonne, morte à 15 ans.
 
Les Parents de votre PÉPÉ s’unirent en 1863 et seulement 11 années plus tard le 15 Janvier 1874, ils avaient la joie de voir naître leur fils : Alexandre Maurice Julien MAUDUIT, votre PÉPÉ.
Les années passèrent. Après la guerre de 1870 les affaires étaient florissantes, leur fils grandissait, intelligent et travailleur. Il commença ses études à l’école de SOURDEVAL, située en face du magasin de ses Parents et à 12 ans, un an après son Certificat d’Etudes passé brillamment (1er du canton), ses Parents le mirent pensionnaire chez les Pères de Sainte-Marie de TINCHEBRAY où il fit toutes ses études jusqu’après son second Bachot. (prix d’excellence dans toutes les classes).
A ce moment là, voulant préparer l’X, il vint à Paris et entra comme pensionnaire à Louis le grand où il fit deux années spéciales. Reçu en 1894 à l’X, en même temps qu’il obtenait un  2ème Accessit de Math  au Concours Général des Lycées de Paris, récompense dont il était très fier, il fit deux années de l’X et en sortit 34ème , « ras de botte » comme il disait.
N’ayant pas de vocation militaire, il démissionna, avant même de savoir son numéro de sortie et s’apprêta après avoir fait son année de Service Militaire à MONTPELLIER comme sous-lieutenant du Génie à entrer dans l’Industrie. 
Je ne veux pas ici retracer sa carrière scientifique, des voix plus autorisées que la mienne l’ont déjà fait et je veux me borner au côté strictement familial.
Ingénieur d’abord aux établissements PATIN, puis à l’ÉCLAIRAGE  ÉLECTRIQUE, il fut appelé en Novembre 1900 à NANCY , par le Doyen BICHAT qui voulait créer l’Institut  ÉLECTROTECHNIQUE, et il y commença sa longue carrière de Professeur.

MARIAGE  DE  MES  PARENTS 
Mes parents s’étaient mariés le 15 MAI 1879. Ma Mère (votre Gros Mémé) était toute jeune, elle venait d’avoir 18 ans le 7 Mai, mon Père en avait 33.  Comme voyage de Noces, ils partirent pour l’Algérie, à MOSTAGANEM d’abord, à TLEMCEM ensuite où ils restèrent 9 ou 10 mois, mon Père ayant obtenu de permuter pour la France, au 132ème Régiment d’Infanterie à REIMS.
C’est là que mon frère Robert vint au monde le 22 Juin 1880, au 52 de la Rue Boulard et que moi-même je naquis le 27 Juin 1883. Nous fûmes tous deux baptisés dans la belle CATHÉDRALE DE REIMS.
Quelques semaines après ma naissance, mes Parents avaient leur changement pour VERDUN, puis deux ans plus tard revinrent à REIMS. C’est de ce second séjour que datent mes premiers souvenirs personnels.
Tout d’abord, la tentative d’enlèvement dont je faillis être victime :
            Un
jour ma grand-mère (AN MA) me promenait sur le Cours Drouet d’Erlom. Distraite par un groupe de nourrices enrubannées, elle me perdit de vue quelques minutes.
Pendant ce temps, une jeune femme s’était approchée de moi et m’avait attirée avec un ballon rouge . Peu sauvage, car on voyait beaucoup de monde à la maison, je la suivis et quand je fus à une certaine distance, elle me prit sur le bras et m’emporta. Heureusement pour moi, j’avais une plume à mon chapeau. Ce fut cette plume rouge qui permit de me reconnaître à une assez grande distance. Au cri de « ARRÉTEZ  LA, la ravisseuse me posa à terre et s’enfuit… Que serais-je devenue si elle avait réussi son coup ? Casque d’or dans une boutique foraine ?  En tout cas, aucun de vous ne serait venu au monde.
Trois semaines après cette aventure, la même fille essaya d’enlever un petit garçon de mon âge, répondant à mon signalement et encore en robe, un petit LARIVIERE. L'enfant moins sot que moi et plus sauvage, se mit à crier quand elle voulut le prendre. La femme effrayée le posa et se sauva. Elle ne fut pas arrêtée et ne recommença plus, la police était en éveil.
Mon second souvenir de REIMS très net est la magistrale fessée  que je reçus pour la première fois. Nous habitions rue du Couchant  dans un pavillon contigüe à d’autres pavillons. Le pavillon voisin était occupé par la famille LAVAL, famille amie de mes Parents. Madeleine de 2 ans mon aînée vint un matin me demander d’aller jouer chez eux. Je revois la scène : Accrochée à la rampe de l’escalier, je réponds à Madeleine : « je veux bien, mais je vais prévenir Mère et j’ai un tablier sale ». Avec l’autorité de ses 6 ans, Madeleine me répond : « Cela ne fait rien, ta Maman saura bien que tu es chez nous ». Je partis, mais deux heures après, Mère qui m'avait cherchée partout se soulagea les nerfs sur mon pauvre postérieur !
En 1888, j'avais 5 ans, mon Père fut nommé major au dépôt du 79ème d'Infanterie à NEUFCHATEAU. C‘est là que je fis mes débuts scolaires aux Dominicaines, tandis-que mon frère Robert fréquentait le Collège.
 Enfin en octobre 1891, ce fut l’arrivée à NANCY où je devais passer toute ma prime jeunesse, puisque nous en partîmes en janvier 1898, mon Père ayant donné sa démission prématurément. A Nancy, Robert et moi fîmes notre Première Communion. Robert au Lycée de Nancy le 26 Juin 1892, moi à Sainte ROSE, le 19 Mai 1895. (Ma Première Communion fut profondément attristée par la mort de mon Oncle Léon VILLOT, le demi-frère de Mère qui s’éteignit à la suite d’une pleurésie une semaine avant le 10 Mai 1895).
Nous passions nos vacances aux environs de NANCY : Une année à CUSTINES. Les deux années suivantes de notre séjour à LA NEUVEVILLE où le vieux ménage PIERRE nous louait pour « 400 Francs » pour août et septembre leur premier étage très confortable où nous pouvions nous caser tous : Père, Mère, nous deux et AN MA qui passait ses vacances avec nous, et une bonne.
Nous avions aussi la jouissance du joli parc qui faisait partie de la propriété et nous faisions très bon ménage avec les vieux propriétaires qui aimaient les enfants. Il y avait un chien et un perroquet qui faisaient notre bonheur…
A la fin de Décembre 1897, mon Père déçu dans son espoir d’avancement donna sa démission et nous vînmes nous installer à Paris, le 15 Janvier 1898. Mes Parents avaient loué au n° 2 de la rue d’Auteuil (juste en face des Dominicaines) un grand rez-de-chaussée où la chère AN MA pour faciliter les choses à mes Parents dont la situation était changée par suite de la retraite de mon Père, devait venir habiter avec nous. Elle quittait pour nous son appartement du 61, rue la rue Monge qu’elle habitait depuis plusieurs années. Mon frère, momentanément restait à Nancy pensionnaire pour terminer son année scolaire, sa 1ère Année de préparation à Saint-Cyr.
Nous passâmes ces deux années là nos vacances à NANTEUIL, dans la maison de grand-mère MIRAULT, située à CHERMONT, mais ma pauvre grand-mère étant morte le 4 Mars 1900, l’Oncle Édouard racheta au partage la maison de famille.
Mon Père, très déçu de ne pas avoir cette maison à laquelle il tenait, il n'était pas bien portant d’autre-part, se décida de faire construire à NANTEUIL la maison que vous connaissez tous, et dont je posais la première pierre le 24 Juin 1900. Après avoir été une résidence d’été pendant mes années de jeune fille, cette maison fut mon refuge et celui de vos Mères et Oncle quelques années plus tard, pendant la longue guerre de 1914.
C’est là aussi que votre cher PÉPÉ vint demander ma main le 10 AOUT 1907.
Nous nous mariâmes le 10 OCTOBRE suivant, et après notre voyage de Noces en Suisse et en Italie, nous revînmes au début Novembre à NANCY où nous avons passé ensemble les plus belles années de notre vie.
Cette période heureuse a vu naître ODETTE, ALFRED, et GENEVIEVE. Je n’ai pu à mon grand chagrin nourrir ODETTE qui fut heureusement sauvée par une belle nourrice Célestine SUHR, Alfred et Geneviève ont été en partie nourris par moi. Les enfants poussaient  bien, nous étions heureux, et cependant … l’année qui a suivi notre mariage, votre Pépé perdait ses Parents : sa Mère le 24 Mai 1908, son Père le 4 Octobre 1908. Sa Mère avait été frappée brutalement de congestion cérébrale, et son Père paralysé depuis 7 ans s’éteignait quelques mois après sa femme.
A mon tour, quelques mois après la naissance d’ODETTE, je perdais ma bonne grand-mère, ma AN MA, qui nous quittait victime d’une obstruction intestinale le 26 Septembre 1909 dans cette chère maison de NANTEUIL qui allait nous abriter pendant la guerre.
Ce fut là, en effet, que le 2 août 1914, nous apprîmes par des roulements de tambour la mobilisation générale. Nous étions depuis quelques jours réunis en famille. Comme les années précédentes, votre Pépé et moi, ainsi que nos trois aînés étions arrivés vers le 14 Juillet afin de passer ce début de vacances à Nanteuil. Votre Oncle ROBERT et sa femme NICOLE HENIN, leur fils NOËL, étaient là, mais les esprits étaient bien inquiets.
La mobilisation mit fin à l’incertitude le 2 août 1914. Après quelques heures de repos, la nuit suivante, à 2 heures du matin, Robert et sa femme partaient en auto pour rejoindre Marseille où ils habitaient; suivis à 6 heures du matin par votre Pépé qui rejoignait Toul par le train.
L’Oncle Robert qui faisait parti du 12ème Alpins, devait pour une année être affecté à des camps régionaux d’instruction : LA VALBONNE, VALREAS, et votre Pépé, quant à lui était affecté à l’Etat Major de la 1ère armée dont il était nommé peu de temps après, Chef des Services Electriques.
Les longs mois de la guerre s’écoulèrent. A Nanteuil où j’étais restée avec les enfants, nous ne manquions de rien; mais la 1ère BATAILLE de la MARNE vint nous en chasser. Le 29 Août, alors que nous croyons encore à des combats à la frontière, nous lûmes dans le communiqué des opérations ces mots qui mirent la France en éveil : « DE LA SOMME AUX VOSGES, NOUS TENONS »
La Somme, c’est-à-dire que la moitié du nord de la France était pris. Le lendemain, un dimanche, on parlait de la FERE, à 50 kilomètres de Nanteuil. Notre décision fut prise immédiatement. Comme on n’autorisait à la gare que des colis de 30 Kg, on apporta la bascule devant le perron et après un essai infructueux, ma malle s’obstinant à peser plus de  30 Kg , je réussis à faire trois petits colis de 30 Kg pour neuf personnes, car nous étions neuf : mes parents dont mon Père déjà bien souffrant, les trois enfants et moi, et trois bonnes (les deux miennes et celle de mes parents que nous ne voulions pas laisser derrière nous).
Vous devinez que le voyage fut pénible, sans histoire, mais après une longue attente jusqu’à Paris, nous eûmes ensuite des difficultés énormes pour avoir un billet pour la Normandie, où nous voulions nous réfugier, sûrs d’y trouver du secours. Après quatre heures de queue épuisante à Montparnasse, nous ne pûmes avoir de billets que grâce au cousin Georges COURTIN qui, Employé Supérieur au P.L.M. put nous en obtenir un par un collègue de l’Ouest. Entre temps j’avais transporté d’une gare à l’autre nos trois malles, à côté d’une espèce « d’apache » disposant d’une voiture à échelles, sur laquelle il entassait personnes et colis. Toute la famille se retrouvait à la Gare Montparnasse, et enfin après 24 heures de voyage, nous arrivions à SOURDEVAL, où nous trouvions gîte et amis.
Descendue tout d’abord à l’hôtel, la tante de Monsieur Léon CHANCEREL  mit à notre disposition une maison confortable où pour la première fois depuis près d’une semaine, Geneviève qui avait 2 ans½  poussa des cris de joie en voyant un lit d’enfant :
« 
mon  ti  lit ! » 
La guerre pour quelques mois s’éloignait pour nous. Quand le Front fut stabilisé deux mois après, nous pûmes revenir à Nanteuil où nous passâmes les longues années de guerre jusqu’à la seconde bataille de la Marne. Votre Pépé qui s’était fait bien du souci à notre sujet, (car FUBLAINES à 3 Km de Nanteuil  avait été la limite de l’invasion), était toujours à TOUL. Je ne pus le revoir qu’à la Pentecôte 1915, où il obtint grâce à un ami, un laissez-passer pour moi.
Au mois d’Août 1915, l’Oncle qui partait au Front, nous amenait sa femme Nicole, ainsi que Noël. Nous ne devions plus le revoir qu’une fois en permission à Noël. Il quitta NANTEUIL le 2 JANVIER 1916, prit part à la défense de l’HARTMANSVILLERKOPF le 7 JANVIER. Sa Compagnie fut hachée et lui-même ne dût la vie ce jour-là qu’à sa vigueur. Pris sous son abri éboulé, il se dégagea à la force des poignets, regagna à la course nos lignes. Reconnu pour un officier à ce moment là par les Allemands (à l’attaque, les chasseurs à pieds retournaient leur béret, pour qu’on ne vit pas le cor de chasse d’argent des officiers), il fut, comme il l’écrivait à sa femme « chassé comme un lapin sous les tirs ennemis ». Par miracle, il rejoignit nos lignes, mais l’effort avait été trop grand, il s’évanouit en y arrivant. Transporté à l’Hôpital de BUSSANG, on constata qu’il avait eu un pouce sectionné et une perforation du tympan et on parla de l’évacuer, mais il était très brave et aimait ses hommes. De sa Compagnie il n'en restait que  7 ! « Mes hommes ont besoin de moi, dit-il, ils doivent être démoralisés ».  On ne voulait pas faire droit à sa demande, mais sur ses instances, on céda.
Il rejoignit les malheureux débris de sa Compagnie qu’on avait envoyée au repos à CLEFCY, près de FRAZE, et c’est là qu’en dépit de sa main blessée il montra à ses hommes le maniement d’une grenade. Fut-il en raison de sa blessure moins adroit ? La grenade lui éclata dans les mains, le tuant net, ainsi qu’un de ses sous-officiers. Ses notes remises plus tard à sa femme comportait : Brave jusqu’à la témérité ». C’était le 31 JANVIER  1916.
A Nanteuil, nous ne doutions de rien. Les lettres du Front mettaient cinq jours pour nous parvenir, et nous reçûmes sa dernière lettre le vendredi 4 Février, jour de l’anniversaire de sa femme (23 ans), que votre Pépé fut appelé à la Mairie et à nous faire le plus douloureux message qui puisse être.
Quelques jours après, votre Pépé qui était en permission put emmener la veuve de Robert et sa pauvre mère jusqu’à CLEFCY où ils trouvèrent une famille de braves gens, plein de cœur, les membres de la famille ANTOINE, qui non seulement leur témoignèrent sympathie et affection, avaient fait le nécessaire (sans savoir s’ils seraient remboursés de leurs frais) pour que le pauvre corps puisse un jour être ramené parmi les siens.
1916 ! Année cruelle, mais aussi année de joie, puisque le 28 août de cette même année vit la naissance de  « Petite  MONETTE »,  votre maman ou tante, qui fut le rayon de soleil de ces dernières années de guerre.
Les mois passèrent. Mon pauvre Père était bien malade et le 28 JUILLET 1917, il nous était enlevé à son tour.
Puis ce fut la seconde bataille de la Marne (30 JUIN 1918), de nouveau le départ brusqué de Nanteuil et l’arrivée à SOURDEVAL où cette fois nous ne trouvions à louer qu’une sorte de petite ferme « LA Thébaudière » où un peu tassés, nous arrivâmes à nous loger et à attendre patiemment que, 3 mois écoulés, nous puissions de nouveau regagner NANTEUIL.
Au début du mois d’Octobre, le 4, si je me souviens bien, nous reprenions le chemin de Paris, pensant y faire une simple halte avant de regagner NANTEUIL. Une voiture nous amenait de la gare, nous et nos bagages, quelle ne fut pas notre surprise, en arrivant Avenue de Versailles, de voir une autre voiture s’arrêter et … votre Pépé en descendre.
La guerre était finie pour nous, votre Pépé venait d’être nommé au Ministère des Travaux Publics, et il devait contribuer à l’étude de l’électrification des chemins de fer.
Quelques jours plus tard, Mère mettait à notre disposition son appartement d’AUTEUIL où nous passâmes tout l’hiver jusqu’à fin mars, époque de notre retour à NANCY.
                     
Après cette date commence la longue suite d’années heureuses dont votre maman ou vos tantes se souviennent et que je n’ai pas besoin, par conséquent, de raconter.  
  
                                                           Georgina Mauduit appelée « Mémé »